Site officiel de Rikka AYASAKI
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Publication: D´ici et d´ailleurs |
édition HERMANN |
Le point de vue du poète intuitiste
Le point de vue du poète intuitiste...Dans un article récent,
intitulé « quelques tendances de l´art contemporain
et leurs racines profondes », publié dans la seconde édition de
Pour un Art de l´intuition,*1,
j´évoque brièvement l´oeuvre de Rikka Ayasaki
en ces termes :
Rikka Ayasaki, en plus de tableaux géométriques inspirés des encres japonaises, du « sumi-é » sur toile, crée des tableaux incontestablement intuitifs se situant entre figuration et abstraction, oÙ les couleurs flamboient dans une danse frénétique et virevoltante, créant leur propre matière et leurs propres formes.
Il aurait fallu préciser que trois tendances se dégagent dans l´oeuvre de ce peintre, une série nommée « Passions » qui combine les couleurs de l´art occidental aux tons uniques des orientales, une série « Fenêtres» composée de peintures à l´encre sur toile, et une série « Noir et Blanc », peintures sur papiers Washi japonais. La série « Fenêtres » est inspirée de la technique du sumi-é japonais qui consiste à n´utiliser que l´encre noire. La performance du peintre est réelle car il ne peut pas corriger la toile ainsi obtenue, comme un tableau à l´huile par exemple. Le peintre doit se concentrer avant de peindre le tableau, se sentir en harmonie avec le nature et méditer profondément. Le sumi-é, que nous aurions tendance de prime abord à assimiler à de la peinture géométrique, est donc bien plus que cela. C´est de l´art spirituel. Kandinski, dans son essai Du Spirituel dans l´Art et dans la peinture en particulier , a parfaitement analysé la dimension spirituelle de l´art, et notamment de l´action de la couleur.
Si dans la série « Noir et Blanc », peintures sur papiers Washi japonais, respectant encore une tradition orientale, Rikka Ayasaki n´utilise pas toutes les gammes de couleur comme c´est au contraire plutôt la tradition en occident, et notamment en Europe, elle le fait, et de façon ô combien magistrale dans sa série « Passions », à laquelle je faisais allusion tout à l´heure.
C´est que sa peinture y devient un carrefour entre les cultures. Ce transculturalisme donne une dimension extrêmement riche à sa palette, d´autant que celle-ci apparaît d´un maîtrise époustouflante. Il s´agit d´atteindre au céleste, par un effet de transparence. Ce n´est plus le poète mais le peintre qui se fait ici « voleur de feu », le feu de la fulgurance intuitive. Ce type de peinture exige selon moi une lecture du spectateur elle-même intuitive, car dans ce cas, on atteint bien « le deuxième résultat primordial de la contemplation de la couleur, qui provoque une vibration de l´âme », comme l´affirme Kandinski dans Du Spirituel dans l´Art et dans la peinture en particulier. *2 L´intuition ne cherche pas à se traduire, mais se manifeste dans la toile de façon virtuose, tout partant de la sensation. La toile, obtenue de façon fulgurante, selon l´immédiateté du sentiment, bien qu´elle soit autre et plus actuelle, rappelle maîtrise et génie de peintres comme Turner ou le Monet des nymphéas. L´objet « intuitionné », aperçu dans sa fulgurante vérité, est si éblouissant qu´il ne saurait se manifester de façon nette mais dans un certain flou de l´intuition. Les couleurs, d´une beauté presque insoutenable, comme chez Chagall encore - si je ne veux parler que du génie exceptionnel du coloriste -, se fondent les unes dans les autres. Les lignes, les contours n´existent pas, la ligne d´horizon elle-même s´efface si bien que nous ne savons plus s´il s´agit d´abstraction ou de figuration, comme dans les toiles les plus déroutantes de Turner et de Monet, notamment, que je viens de citer. C´est qu´il s´agit ni de l´un ni de l´autre, mais de peinture née de l´intuition, ce que je nomme intuitionisme.
Pour ces raisons, je tiens Rikka Ayasaki pour l´une des plus grandes peintres actuelles. On retrouve aussi dans sa façon de faire ce qui caractérise l´oeuvre de certains poétes ou écrivains contemporains, comme Yves Bonnefoy ou Philippe Jaccottet, ou dans le domaine oriental le peintre et écrivain Gao Xingjian (Prix Nobel de littérature 2000, année on ne peut plus symbolique pour l´art nouveau), dont j´avais cité en son temps dans mon Art de l´Intuition l´essai Pour une nouvelle Esthétique, qui préconisait un art de l´intuition s´éloignant du concept - comme le fait aussi Yves Bonnefoy -, traçant un pont entre l´Orient et l´Occident.
Rikka Ayasaki se situe selon moi dans un espace semblable. Du premier coup d´oeil, quand j´ai découvert son oeuvre dans une galerie parisienne, j´ai compris que j´avais affaire à l´une des plus grandes artistes intuitives de notre époque. Je pense que Gao Xingjian ne me contredirait pas, lui qui, quand il peint, et bien que son pays d´origine soit la Chine, utilise presque toujours l´encre et ne cesse de préconiser un art non conceptuel né des intuitions les plus profondes de l´artiste, art qui confine forcément au spirituel, comme nous l´enseigne si bien l´Asie.
Eric Sivry -Proffeseur, Ecrivain, Poéte-
*1 Editions D´Ici et D´Ailleurs, Meaux, 2011. Première
édition, Anagrammes / La Tilv, Perros-Guirec, Les Celtes suivis
de Pour un Art de l´intuition, 2003.
*2 1954. Gallimard, folio essais, 1989, p. 107.
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